La légende de Saint Guignefort
La légende du Saint Lévrier
Pour le dominicain lyonnais Etienne de Bourbon (mort vers 1261), les "superstitions" relèvent du péché d'orgueil et figurent parmi les plus graves manifestations d'hostilité ouverte contre Dieu, son Eglise et la religion. le dominicain dénonce le culte rendu par les paysans envers un chien, vénéré sous le nom de saint Guinefort. Culte qui s'accompagnait d'un rituel de guérison des enfants, orchestré par des sorcières. Ce récit, situé dans la Dombes, près de Châtillon-sur-Chalaronne, est un document exceptionnel pour la connaissance de la culture folklorique du Moyen Age.
"....Dans le diocèse de Lyon près du village des moniales nommé Neuville, sur la terre du sire de Villars, a existé un château, dont le seigneur avait de son épouse un petit garçon. Un jour, comme le seigneur et la dame étaient sortis de leur maison et que la nourrice avait fait de même, laissant seul l'enfant dans le berceau, un très grand serpent entra dans la maison et se dirigea vers le berceau de l'enfant. A cette vue, le lévrier, qui était resté là, poursuivant le serpent et l'attaquant sous le berceau, renversa le berceau et couvrit de ses morsures le serpent, qui se défendait et mordait pareillement le chien. Le chien finit par le tuer, et il le projeta loin du berceau. Il laissa le berceau et de même le sol, sa propre gueule et sa tête, inondés du sang du serpent. Malmené par le serpent, il se tenait dressé près du berceau. Lorsque la nourrice entra, elle crut, à cette vue, que l'enfant avait été dévoré par le chien et elle poussa un hurlement de douleur très fort. L'entendant, la mère de l'enfant accourut à son tour, vit et crut les mêmes choses, et poussa un cri semblable. Pareillement, le chevalier, arrivant là à son tour, crut les mêmes choses, et tirant son épée, tua le chien. Alors s'approchant de l'enfant, ils le trouvèrent sain et sauf, dormant doucement. Cherchant à comprendre, ils découvrirent le serpent déchiré et tué par les morsures du chien. Reconnaissant alors la vérité du fait, et déplorant d'avoir tué si injustement un chien tellement utile, ils le jetèrent dans un puits situé devant la porte du château, jetèrent sur lui une très grande masse de pierres et plantèrent à côté des arbres en mémoire de ce fait....
Les paysans...honorèrent le chien tel un martyr, le prièrent pour leurs infirmités et leurs besoins, et plusieurs y furent victimes des séductions du diable...Les femmes qui avaient des enfants faibles et malades les portaient en ce lieu....elles allaient chercher une vieille femme qui leur enseignait la manière rituelle d'agir, de faire des offrandes aux démons, de les invoquer, et qui les conduisait en ce lieu....
Nous nous sommes transporté en ce lieu, nous avons convoqué le peuple de cette terre, et nous avons prêché contre tout ce qui était dit. Nous avons fait exhumer le chien mort et couper le bois sacré, et nous avons fait brûler celui-ci avec les ossements du chien. Et j'ai fait prendre par les seigneurs de la terre un édit prévoyant la saisie et le rachat des biens de ceux qui afflueraient désormais en ce lieu pour une telle raison."
Cet espoir d'Etienne de Bourbon, aura été déçu. En effet ce culte persistait encore au premier tiers du XXe siècle ! Certaines personnes agées de Châtillon se souvenaient encore dans les années 1970 qu'autrefois (avant la seconde guerre mondiale), on se rendait dans ce bois pour y invoquer un certain saint Guignefort et obtenir la guérison des enfants malades ou chétifs.
Etienne de Bourbon, Traité des diverses matières pour prêcher, éd A. Lecoy de la Marche, Anecdotes historiques, légendes et apologues, tirés du recueil inédit d'Etienne de Bourbon, dominicain du XIIIe siècle, Paris 1877, no 370, p. 325-328; trad. J.-Claude Schmitt,Le saint Lévrier. Guinefort, guérisseur d'enfants depuisle XIIIe siècle, Paris, 2004 [1979], p; 15-17.
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